VidéOTThèque
Déjeuner sur l'herbe
Il y avait Marilyn. Blonde et plantureuse. Une gorgée de fraicheur dans un soir tropical. Un caliente latin dans le nord de l’Amérique. Caprices de sexe symbole. Symbole de sexe capricieux. Transpirations érotiques d’une femme-désir. Marilyn, c’était ça. Une minauderie de femme dominante. Parce que plus désirée que vous, parce que plus désirable que vous. Minauderie de femme qui sait se faire avoir. Marilyn, mon premier amour. Chez moi, elle s’appelle Mathilde. Mathilde ou Marilyn, de toute façon, ça cache sa véritable identité.
Ma Mathilde avait tout de La Marilyn. Les mêmes formes incroyables. Les mêmes imperfections charmantes. Ce même parfum d’aventure tumultueuse. Marilyn-Mathilde ou la poursuite du diamant perdu. Marilyn-Mathilde ou la femme qu’on perd forcément. Et je l’ai perdue. Dans les bras d’un que je n’ai même pas boxé. Même pas vu. Rien sinon de passer second dans l’ordre des prétendants. Rien sinon l’arrivée d’Audrey.
Audrey, mon second amour. Audrey, comment vous dire. Audrey s’est appelée Elodie. Une jeune femme. Grande et mince. Filiforme. La classe folle des femmes qui impressionnent. Celles qui inspirent courtoisie et réserve. Celles qui terrorisent. Celles qui peuplent les histoires inachevées.
Audrey, la vraie, porte des gants longs noirs, est habillée par Givenchy. Elle sonne constamment chez son voisin japonais parce qu’elle a oublié la clé. Son voisin japonais crie tant qu’on ne lui fait pas de charme. Audrey peut avoir n’importe qui, même son voisin japonais. Audrey joue miss Golightly. Golightly, pour les non-anglophones, ou les anglophones contrariés, comme aurait dit Desproges, ça signifie « qui va plein de lumière ». C’est approximatif, mais c’est l’esprit. Audrey veut se marier avec un riche, fut-il moche. Mais Audrey aime son nouveau voisin. Pas le japonais, l’autre. L’écrivain. Je ne suis pas un écrivain, mais je suis prêt à mentir si cela me fait aimer par Audrey.
L’histoire est écrite par Capote. Capote ou l’exemple que je brandis quand on crache sur les écrivains mondains. Sur les Blondin, Cocteau, Fitzgerald, Parker, Colette, Sagan, même Beigbeder. Ils ont des fulgurances qui intéressent des femmes comme Hepburn. Ils écrivent des histoires de femmes magnifiques et perdues.
L’histoire est écrite par Capote mais l’histoire est simple. L’histoire d’une femme qui trouve ce qu’elle ne cherchait pas. L’histoire d’une femme qui se résout à ce qu’elle voulait vraiment. L’histoire d’une femme un peu gauche, calculatrice qui ne peut plus calculer. L’histoire d’un temps où on avait de l’air, où les amours n’étaient pas étouffantes, où cela ne sentait pas le renfermé.
Parce que Breakfast at Tiffany’s, c’est ça. L’histoire d’une fuite qu’on ne prend plus. L’histoire d’un obstacle qu’on évite jusqu’à choisir de ne plus éviter. L’histoire d’une femme lunaire, solaire, lumineuse, qu’on courtise alors que les chiffres sont contre nous. L’histoire de la patience amoureuse. L’histoire de la séduction lente, de l’amour grandissant sans amour, de l’implicite explicite. L’histoire d’Audrey et de Georges (Peppard, le type de l'Agence tout risque, c’est vous dire s’il a vécu des rôles dangereux), rien de plus. Qu’importent les affaires de drogues, qu’importent les femmes volages et les hommes transis, qu’importent les hommes volages et les femmes transies.
L’affaire se résume ici ; un homme et une femme qui se résolvent à faire pour la première fois ce qu’ils n’ont jamais fait. Parce que c’est ça tout le sel de ce film. La modernité d’un couple sans la noirceur moderne. Les râteaux sixties sans la dépression du troisième millénaire. Une femme qui surgit par votre fenêtre et qui n’est ni superhéroïne, ni actrice porno. Un fantasme qui vient vous rendre visite sans vous accorder la moindre faveur.
Audrey me fait penser à Elodie. J’ai passé quelques nuits contre elle. Quelques nuits d’espoir, quelques nuits de trac, de terreur, d’angoisse. D’angoisse joyeuse, de celles qui vous font penser ; est-ce que je tente ou est-ce que je ne tente pas ? De celles qui vous font penser, plusieurs années après, que vous auriez dû tenter. Mais vous vous souvenez de ces histoires, rares, précisément parce qu’elles sont inachevées.
Aussi, aujourd’hui, je l’avoue. Elodie, tu es à ma filmographie personnelle, mémorielle, ce qu’Audrey fut à la filmographie tout court ; un fantasme incompressible. Une sorte d’absolu du désir.
La mort aux trousses
Vous avez déjà vu La mort aux trousses ? Non je ne sais pas ! Je suis prêt à admettre que je débarque, même si le film n’est sorti qu’en 1959 !
Je resitue, pour ceux qui n’étaient pas nés et/ou qui ne s’intéressent pas au cinéma.
La mort aux trousses (North by Northwest, pour les bilingues) est certainement l’un des plus grands Hitchcock, avec le Grant Cary Grant et la sublime Eva Marie Saint. C’est aussi, en réalité, le premier James Bond. Le premier Oh James ! Sans les inconvénients des James Bond, à savoir : James Bond.
On suit l’aventure de Roger Thornhill, publicitaire new-yorkais enlevé parce qu’on le prend pour un agent des services secrets. S’en suit l’habituel cocktail : meurtre à l’ONU, femme fatale, CIA, fausse ambulance 50s, piste d’avion privée. Un James Bond, je vous dis ! Et quand bien même j’adore Sean Connery (encore un peu plus que Craig), Cary Grant aurait été parfait !
Bon, l’histoire, je m’en moque. Même la mise en scène impeccable du Hitch, même les jeux d’acteur irréprochables, même la beauté de la première (à fortiori) james bond’s girl.
Non, ce que je retiendrai aujourd’hui, c’est la classe. Cette politesse surannée qui veut que deux hommes, fussent-ils ennemis jurés, fussent-ils rivaux pour les beaux yeux d’une femme, ne s’insultent pas, ou bien s’indignent quand l’autre franchit cette limite. Un chic d’antan qui voulait qu’on s’excuse d’avoir brutaliser gentiment une femme qu’on croyait « adultère » par pur plaisir.
J’ai découvert ce film récemment. C’est ce que j’aime dans ma modernité. Bien sûr, j’ai longtemps regretté de ne pas être né à certaines époque, de ne pas avoir vécu l’éclosion de Machiavel, la montée de Voltaire, la défloration de Rousseau (c’est lui qui en parle, tout de même), de ne pas avoir saisi sur le fait le choc des Illuminations, de ne pas avoir découvert Kafka. Je passe, les exemples sont trop nombreux. Je me suis longtemps lamenté là-dessus, mais, finalement, qu’est-ce que j’ai ? Que puis-je vivre ? Un chemin en forme de retour aux sources. Une remontée dans le temps, à partir des ersatz contemporain vers les pionniers. Ce n’est pas à toutes les époques qu’on peut considérer et les causes et les conséquences. Et les pères et les fils.
Et puis, il est d’un chic incontestable de faire parti des happy few à lire Adams, St-Augustin, Platon, les fragments d’Héraclite et les mythologies de Barthes. Mis à part les lecteurs académiques, qui de mes congénères les lit encore ?
Quant à La mort aux trousses, une mention spéciale à la façon qu’à Eva Marie Saint de caresser la nuque de Cary. Regardez les scènes dans le train ! C’est d’une sensualité pudique, la plus excitante.