La chrysalide
Je me trouve sur un parapet constant, fil de funambule escarpé. En un mot : j’hésite. Encore. A ma gauche, mesdames et messieurs –Bonsoir, ravi de vous accueillir, prenez place !, une carrière professionnelle renaissante, des possibilités d’évolution, un potentiel et un charisme reconnus assez largement. A ma droite, cet amour chronophage (que les mots de ce siècle sont laids !) que je veux laisser grandir, encore et encore, protégé des affres de ce monde gris, quitte à consentir aux plus grands déséquilibres pour le servir. Quitte à être, pour toujours, le pouilleux des deux. C’est compliqué, aujourd’hui : choisir entre la stabilité qui n’est plus stable, et l’instabilité élevée en principe. Etre coincé entre deux directions également prometteuses, entre contingence du quotidien et excitation de l’aventure, entre demande de permis de construire et construction hors normes.
Me voici à la croisée des chemins, arrivé au point où je dois me foutre de l’un pour avancer dans l’autre. Mais quel un ? Quel autre ?
Alors, ici, je vais faire ma chrysalide, dans son dernier acte. Ma larve, dans ses derniers instants. Déchirer le cocon, naître au monde extérieur, renaître, en quelque sorte. Ce doit être une renaissance, ce passé qui devient bloc, cette partie de vie qui s’achève et qui forme cette boîte à souvenirs qui nous ont poussés sur ce chemin-là.
La vérité, c’est que j’ai choisis, il y a une semaine. Entre boulot prenant et littérature universelle, c’était facile. Alors voilà, je trempe ma plume désormais dans ce vin que je ne diluerai plus, dans ces nuits sans sommeil à composer des phrases. Dans ces mélodies de sens et cette langue française, ma maîtresse. La plus capricieuse, la plus passionnée, la plus merveilleuse.
Mener tous les combats de front me semble la seule solution, la seule possibilité d’effacer ces années d’hallali. Et puis, j’ai suffisamment joué avec les styles pour épouser le mien, non ?
Me reste donc une chose à faire : la liquidation. Liquider ces petits bouts de choses vaines, ces phrases sans histoire. Voici, pour vos beaux yeux sévères, l’épuisement total de mes textes mort-nés. Tout cela est à la disposition de celui qui en compose la suite.
« Il n’y a qu’une petite nuance entre un appartement trop sombre et une ambiance tamisée. Entre le glauque et le romantique. La mort et le sexe, le duo magique, la combinaison gagnante. Dans la chambre de Simon, à ce moment précis, je contemple Alexandra nue, et rien ne me semble lugubre. Tout semble lumineux, au contraire. »
« La voiture file dans le décor. Un trait de bitume au milieu du vert maïs, ma 406 blanche dessus. Le soleil or blé, costaud. Le paysage est fuyant, filant, défilant, un peu terni, fumé autant que mes lunettes. Il y a God only knows à la radio.
C’est notre premier voyage, notre premier partir loin ensemble. Nous avons déjà conjugué les beaux verbes : rencontrer, aimer, embrasser. Maintenant partir, avant le plus beau : revenir. La vie se résume à quelques mots, finalement. Quelques sens à accrocher à son tableau, capturés au filet à papillon chanceux. « Je suis un chasseur de verbes ! ». Ca me plait.
Iwia s’est assoupis quand on a dépassé Paris. Déposée comme un bijou dans l’écrin du fauteuil passager. Son visage un peu enfant, paisible, tourné vers son épaule. »
« Eléonore a la peau chaude et les joues humides, un trait de rimmel qui colore chacune de ses pommettes. Une ligne de cendres tremble au bout de sa cigarette, au même rythme que sa mâchoire. Eléonore pleure. Eléonore ne sent pas la pluie couler sur l’or de ses cheveux. Eléonore ne voit pas les passants enjamber ses petits escarpins. Elle est si triste que le reste du monde n’a plus aucune importance.
Autour d'elle, la pluie lave la sueur des grosses chaleurs. Le monde fait peau neuve. »
- « Pourquoi n’est-on jamais parti ensemble ?
- Je ne sais pas. Je suppose que j’étais un peu avachi.
- Dis plutôt que tu avais la trouille, oui.
- Oui, j’avais la trouille.
- Mais de quoi ?
- De tout. Avec toi, j’avais peur de tout. Du facteur, des autres, de nous, des jours qui commençaient bien, de ceux qui commençaient mal. De tes crises soudaines, de mon détachement que je ne comprenais pas. De te voir partir un jour, d’être obligé de partir. De cette sensation d’aimer pour deux, de celle que tu comprenais pour moi. De cette passion qui nous dévorait, de l’éventualité qu’elle disparaisse. Avec toi, je savais que je te perdrai un jour, je ne savais simplement pas d’où viendrait le coup.
De tout cela, faites ce que vous voulez ! Moi, je m’en vais ailleurs. Moi, je vais entrer en moi, pour quelques temps, triturer un peu plus intensément ce qui me sert de machine à rêve. Je ne sais pas ce que cela donnera, mais je vous donne rendez-vous au prochain billet pour en avoir un aperçu !