My friends flat
Je garde l’appartement d’un couple d’amis depuis quelques semaines. Ils sont de ces gens adorables qui n’acceptent pas l’idée du chaos. De ces gens, au bord de l’hygiénisme contemporain, qui pèsent, et demandent la pesée, des rations de croquettes fournies au chat. Vous verriez la symétrie hallucinante des meubles ! Seul égarement dans ce fatras mathématique : le nom du chat, qui n’en a pas, ou plutôt, qui en a plusieurs. C’est la seule indétermination des lieux. Et la télé encastrée au milieu pile du meuble, et le salon interdit aux écarts du chat, et cette litière anti-odeur, et ces clopes, uniquement sur le balcon. Je déteste les gens sains. C’est idiot peut-être, gratuit sûrement, mais je hais cette illusion d’équilibre recherchée à tout prix.
Il y a des divertissements, tout de même : des films, beaucoup, des jeux vidéos, un peu, des livres, presque pas. Les livres…. La bibliothèque est un meuble rachitique placé dans un coin de la chambre, derrière l’armoire, de sorte que je ne l’ai découverte que par hasard au bout de quelques jours. Quelques livres médicaux, des polars, un de mes livres. Ce sont de bons amis.
Il y a, quand vous gardez l’appartement d’amis tels que les miens, comme un malaise. Vous êtes quelqu’un de correct – enfin, vous essayez, alors vous suivez les recommandations à la lettre. Vous entrez dans la peau de vos amis pour vous occupez de ce chat qui est cet enfant qu’ils n’ont pas encore eu, ce trouble-ennui qui les sauvent des silences encombrants. Vous vous efforcez de ne pas perturber cet univers si bien construit, presque mathématiquement, si harmonieux. Vous savez que vous remettrez en place ce que vous avez dérangé. Vous savez qu’une logique œuvre ici que vous ne connaissez pas. Vous sentez, constamment, que vous n’êtes pas chez vous.
Comment voulez-vous que j’écrive dans ces conditions ? Comment voulez-vous que je ponde un bon billet sans déséquilibre ? Ici, je ne suis que pris dans une spirale ennuyeuse qui me pousse à renier mon régime et rechigner à sortir fumer. Les quelques moments de grâce où une idée perce sous le sain, les miaulements percent l’idée.
Je n’écoute plus de musique, j’ose à peine emprunter un blu-ray, je ne lis plus, alors que l’humeur vagabonde de Blondin m’attend sur la table de nuit. Le problème avec les athées, c’est qu’ils se fabriquent des sanctuaires sans dieu. Voilà qui me fait réfléchir… « Je ne sais que penser. Rien ne me rend plus pensif » disait Valéry.
Hum, un billet assez chaotique, je vous l’accorde. Mais voyez les conditions de fabrication, et vous comprendrez, j’en suis sûr, que j’ai des circonstances atténuantes.
La morale de tout cela ? Lisez Blondin, d’aucun disent que c’est un des plus grands stylistes du vingtième siècle. Lisez Valéry, aussi, un des plus grands auteurs français. Et puis, écoutez beaucoup de musique, pour compenser celle qui me manque !
PS : je m’interroge aussi, pour la première fois, sur ce côté mathématique de la musique électronique actuelle. Vous l’aurez compris, je ne crois pas en la mathématique des choses. En tous cas, en la mathématique pour l’inspiration. Mais tous ces gens qui écoutent l’électro métronomique, comment peuvent-ils être inspirés par ces choses inhumaines (au sens régulières, mathématiques) ? Parce que si la musique classique peut être créée mathématiquement, elle est jouée par des êtres, avec leurs émotions, alors que l’électro est jouée par des… ordinateurs. Ca mérite réflexion… Pas la vôtre, qui est trop pure pour s’abaisser à telles préoccupations, mais la mienne s’en accommodera.