OTTline

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L'aurore en bretagne

Je ne me souviens pas bien de mon enfance. Mon passé semble un grand bloc inextricable. Avec quelques images insaisissables qui défilent trop vite. Quelques couleurs, quelques saveurs. Parfois des odeurs. Mon enfance a la texture des films super8 de ma grand-mère. Une caméra qui tremble un peu posée sur des enfants entourés de soleil.

Je me souviens que je passais tous mes étés en Bretagne. Je me souviens d’elle. J’ai beau croire ce que je veux, c’est mon premier amour.

Elle s’appelle Aurore. J’ai de la chance, je sais. Commencer avec l’aurore, apprendre avec Elle. Aurore était là avant Eve, avant Marie. Avant tout.

On mettait une journée pour y aller. Traverser la France pour la voir. Ma grand-mère conduisait, je jouais. Il y avait des poids lourds, des orages, des beaux temps, de la grisaille. Du blé partout, sinon du maïs. La terre blanche de Champagne et les airs de la Francilienne. Quand on touchait au but, c’était toujours la même route. Le Soleil devant, orange, les vaches autour. La quatre voies après St-Brieuc. Les pierres grises des Côtes d’Armor et les volets bleus. J’ai des souvenirs en forme de carte postale. Un horizon bleu, parfois, à droite. Je retrouvais les arbres que j’avais laissé pendant un an. Les petites routes où j’ai pédalé pour la première fois. Le terrain de foot où on regardait les grands jouer. L’endroit de la seule mort qui m’ait fait pleurer, la seule gravée en moi.
On se garait devant la petite maison, puis on allait chercher les clés.

Le premier soir, on ne se parlait pas. Pas beaucoup. Elle me tançait silencieusement. Elle me reprochait de l’avoir laissée un an. Douze mois d’abandon. On ne s’écrivait pas. Même quand on a appris à écrire. Alors, le premier soir, je me réappropriais mes terrains de jeux. La petite maison, sa table immuable, le bureau de mon grand-père, sous l’escalier, à côté de la cave à vin. La moquette ultra-douce à l’étage, les deux grand lits massifs. Les odeurs de renfermé dans les buffets et les araignées partout. C’est beau, une maison qui reprend vie. Il y avait le petit canapé et la télé. Presque en noir et blanc. Le petit coffre à jeux, à jouets de plage.

Le lendemain, je ne sais plus comment cela se passait. Je sais qu’on se retrouvait enfin. Qu’on s’approchait et qu’on ne se quittait plus pendant un mois. Je sais que je voyais sa petite tête frisée, mignonne, balayer un an d’absence. Je sais que j’avais un trac monstre en arrivant, et qu’il disparaissait sur un de ses gestes. Je sais qu’elle avait ce pouvoir d’être crainte tant qu’elle n’en décidait pas autrement. Qu’elle avait un an de moins que moi (un univers, avant dix ans), mais qu’elle menait la danse. Elle jouait à domicile. Elle m’a fait danser, elle m’a fait jouer à la poupée. Je la suivais. Elle demeure unique, la plus douée à ce jeu. Peut-être la plus femme de toutes les femmes que j’ai connues.

On a marché dans le sable des plages, on s’est caché dans des champs de maïs, smacké devant des lapins, baigné dans le grand océan. 
Elle m’a appris les grandes passions. Secret, rires, jeux. Légèreté. INTIMITE. Personne ne sait exactement ce qui s’est passé entre nous. Même pas nous. Ca a été rangé dans le carton « divers » quand j’ai cessé d’y retourner. Parce que nos étés sont inclassables. Ils ont la saveur de moules dégustées sur le port de Binic, de crêpes avalées sur les quais de Paimpol. De glaces ensablées et de rires endiablés. Ils ont un arrière-goût d’éternité. Ils vivent en moi en toute clandestinité, sous-tendent ma vie, mes amours.

Il y a eu un jour où les douze mois moroses sont devenus plus important que le mois de lumière. Un jour où j’ai décidé de laisser la petite maison au loin, et son visage adorable me filer le trac. A vie. Il y a un jour où j’ai été feignant et lâche. Depuis, je ne vois que des photos d’elle avec mon frère. Depuis, elle me reproche mon absence, je me reproche ma jalousie. Depuis, j’ai connu quelques femmes, quelques intimités, mais jamais cette légèreté qu’ont ceux dont on peut s’éloigner l’air de rien, mais qui sont toujours avec vous. Qu’on peut négliger, mais qui balaient votre culpabilité d’un regard. De ceux à qui l’on doit beaucoup, mais qui ne demandent rien.


Du bloc monolithique de mon passé reste une image. Ma grand-mère conduit - ma grand-mère conduit toujours-, Aurore est allongée sur la banquette arrière, et moi en-dessous d’elle. On chante, à tue-tête, Santiano. Deux cassettes pour nos voyages, Santiano, et Jean-Yves Lafesse. Je crois que c’est la dernière fois que j’ai chanté Santiano.



03/03/2013
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