OTTline

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La Superbe (3) : Premier baiser

Un goût sucré. Papaye, goyave ou fruit de la passion. C’est ça, fruit de la passion ! C’est le goût qu’elles doivent avoir, les lèvres de Mathilde. Fruit de la passion et rien d’autre ! Ou peut-être un mélange des trois. Ses lèvres sont belles. Délicates et voluptueuses. Pas charnues. Je n’aime pas ce mot, charnu. Pour Mathilde, il ne faut employer que des jolis mots qui veulent dire de belles choses. Des mots qui sonnent bien. Pas charnues, plutôt voluptueuses. Ou passionnées, comme le fruit. Voilà, ses lèvres sont sucrées et passionnées, comme le fruit, et moi je dis n’importe quoi quand je suis nerveux. Ses lèvres sont rouges aussi, comme pour rappeler aux neuneus comme moi que c’est bien là que tout se joue.
Mathilde a les mains posées sur ma poitrine. Comme pour me contenir. Comme pour me calmer. Comme pour s’assurer que mon cœur ne lâchera pas. Je suis adossé au mur, au fond de son studio dans l’obscurité, et elle est face à moi. A bonne distance. La distance des slows d’enfant, au début, quand on se tient à bout de bras avant de se rapprocher. Moment solennel, encore. Moment grave, toujours. Un premier baiser, ce n’est pas rien. Ça veut dire beaucoup. Ce sera le premier baiser de ma vie, et à ce moment, je suis persuadé que ce sera mon dernier premier baiser. Que je n’aurai jamais à découvrir les lèvres de quelqu’un d’autre. J’en suis certain, Mathilde et moi allons tromper les statistiques.  Avant même ce premier baiser, je sais que je presserai les mêmes lèvres pour le dernier. A la toute fin. Avant de mourir d’une vie heureuse passée à ses côtés.
Mathilde semble maîtriser. Je dis semble parce que je sais qu’on oublie trop facilement que l’initiateur peut être stressé. Que la position de celui qui montre n’est pas moins inconfortable. Elle ne peut pas se laisser aller, elle, comme moi. Elle ne peut pas se laisser faire. Se reposer sur son expérience, se rappeler que derrière toutes les émotions qui montent, derrière la boule qui bloque sa respiration et le nœud qui étreint son estomac, il y a un instant qu’elle a déjà vécu un certain nombre de fois. Un minuscule moment de rien du tout, qui n’a pas de sens, et qui sera reproduit pour quelques milliards d’occasions.
Ca y est, elle s’approche. Ses mains ne quittent pas ma poitrine, comme un électrocardiogramme qu’on surveille scrupuleusement pendant une opération du cœur.  Elle est branchée sur mon pouls. Elle ne veut pas que je lui claque dans les bras. Mathilde est mon infirmière, mon médecin. Elle me maintiendra en vie coûte que coûte.
La frontière est franchie. Ce petit instant microscopique, juste avant le contact. Celui où on est encore conscient, où on est encore maître de soi. Un peu. Celui où je décide de ne pas fermer les yeux, de vivre chacun des instants qui suivront les pupilles dilatées, mais actives.
Ca y est, on s’embrasse. C’est magnifique ! Du goût ! Du voluptueux ! Comme une rosée du matin sur une île du pacifique ! Comme un cocktail frais dans la chaleur d’un soir argentin ! Les lèvres d’abord, qui se découvrent, qui s’apprivoisent. Qui se titillent, se caressent. Son corps qui se colle au mien. Plus aucune méfiance. Les respirations qui se font sonores. Cette petite inspiration qui devient la sensualité même. Puis ses lèvres ouvrent ma bouche. Elles ouvrent ma bouche et sa langue cherche ma langue. Elle me caresse les dents, les séduit, les amadoue. Cette langue est capable de mettre à bas toute défense, d’ouvrir toutes les forteresses. Elle aurait infiltré les cathares avant Dieu, et pris Jérusalem avant l’arrivée des croisés. Mes dents cèdent, évidemment. Sa langue touche ma langue, et des étoiles se mettent à parsemer mon esprit. Sa langue tourne autour de moi, me caresse de partout. J’ai oublié tous les conseils que j’ai entendus. Il n’y pas de méthode, pas de sens de circulation. Vouloir organiser cela est une connerie. Ça n’a aucun sens. C’est tellement bon que cela ne peut pas en avoir.
Puis tout s’arrête. Elle se recule un peu, scrute ma réaction. Je dois être pâle, très pâle, à en juger par la quantité de sang qui est descendu de quelques étages. Son sourire bienveillant accompagne sa main qui me caresse la joue. Son visage me demande :
Alors ?
Je ne sais pas, je crois qu’il faut qu’on recommence. Pour être sûr.
 
Elle me sourit un peu plus encore. Je crois bien que ses yeux brillent. Je me dis que c’est parce qu’elle est émue, elle aussi. Son autre main quitte mon cœur pour ma seconde joue. Il n’y a plus de précaution à prendre. Maintenant, on peut y aller franchement. Cette fois-ci aussi, mes yeux se ferment. Automatiquement. Mon corps la connait déjà mieux que moi. Il s’était peut-être préparé, lui, à vivre ça.



14/12/2012
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