OTTline

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La Superbe (4) : Soles grillées

Une petite jupe noire sur des bas de soie. C’est tout ce qu’elle porte. C’est tout ce que je lui ai laissé. Les amours transis se jouent à demi-nu. À la frontière du décent et de l’indécent. Des boucles blondes en cascade sur un dos parfait. Un petit sillon vertical qui épouse sa cambrure irréelle. Des hanches fines où s’estompe petit à petit la trace de mes mains. La femme idéale gagne à être connue de dos.

Ses doigts s’activent en harmonie. Ils découpent, préparent. Ils dansent au-dessus de la table. Ils s’occupent du poisson avec la même fermeté délicieuse qu’elle a dans nos préliminaires. C’était il y a quelques dizaines de minutes. Avant les orgasmes et le bonheur, avant les étoiles dans les yeux et les larmes de sueur.

La sueur n’a rien de charmant. 
Sauf quand c’est la sienne. 
Sauf quand on vient de faire l’amour, et que mes doigts découvrent encore son corps en se perdant dans quelques gouttes. 
Sauf quand elle a le goût de Mathilde.
Sauf quand je lape ce millilitre qui est descendu le long de ses vertèbres, jusque sous sa jupe. 
Sauf quand je lèche son cul pour un concentré d’elle. Qu’elle lance ses « arrête » qui signifient des « continue ».

C’est un jour de fête, nouvel an peut-être. Mathilde me prépare son premier repas. Du poisson. Quelque chose de gastronomique. Moi, je suis jaloux. J’aimerais être tout ce que ses doigts toucheront. Toujours.

Je suis allongé sur son lit, juste derrière elle. Petit studio pour petits espaces. J’ai réussi à glisser Glenn Miller dans l’air. In the mood. Etre ringard a parfois de bons côtés ; on met des morceaux intemporels pour des moments inoubliables.

La poêle crépite, la musique aussi. Mathilde ondule des hanches. Ses seins lourds roulent en rythme. Moi je suis fasciné. Il y a devant moi la plus ravissante créature terrestre. Mon cadeau de Noël perpétuel.

Il y a dans l’hémisphère nord une ville sous la neige et dans la nuit. Il y a dans cette ville une petite fenêtre illuminée, ouverte sur un petit studio où un homme amoureux bande sur le lit de celle qu’il contemple. Elle cuisine pendant qu’il ne cesse de la regarder. Parfois l’amour c’est cela, ne pas s’arrêter de regarder. Elle a enlevé sa jupe après s’être essuyé les mains avec. Mathilde en bas de soie. Mathilde où la victoire irrévocable de Monroe sur Hepburn. Mathilde et son cul fabuleux. L’homme se souvient de cette chanson : On ira tous au Paradis. Il se dit que c’est juste. Qu’il a eu raison, Polnareff, de chanter ça. On ira tous au Paradis, et les places seront chères, à côté du cul de Mathilde.

Cet homme, dans son petit cocon à elle, est heureux. Cet homme, c’est moi. MOI !!


Deux verres à pied à côté d’une bouteille de Château Figeac. Le vin respire, lui. Il n’a aucune raison d’avoir le souffle coupé.

Mathilde met les mets dans la poêle, et vient trinquer. Prenez votre plus beau rêve, le plus fou. Celui que vous osez à peine imaginer, que vous n’avez jamais raconté. L’image peut-être qui vous fait tenir dans les moments difficiles. Le mien se résume à une déesse nue buvant un des plus grands vins. Le mien se résume à des seins idéaux, des cheveux innombrables, des yeux marrons et des lèvres rosies. Le corps de Mathilde est une suite ininterrompue de gestes réussis *. La saveur de ses lèvres mêlée à celle du vin la preuve que Dieu existe, et qu’il a bon goût.

Nous avons fait l’amour pendant que les soles brulaient.

Mathilde me regarde dévorer, déçue. Elle ne veut pas croire que c’est le repas le plus délicieux de ma vie. Soles grillées et pavés de tagliatelles. Elle pense que j’aime pour la rassurer. Il faut la comprendre, elle ne sait pas ce que c’est. Elle se côtoie depuis si longtemps. Elle ne se rend pas compte de la chance que j’ai.

 

* Francis Scott Fitzgerald



26/12/2012
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