Mauvaise Passe (2)
D’accord, Simon est mort. D’accord, tu as perdu ton meilleur ami, tes soirées sublimes et tes nuits héroïques. Mais elle morfle plus que toi. Toi tu t’en fous, au fond. Et même tu penses un peu qu’il est chanceux. Tu serais prêt à l’envier. Alors pas de mauvaise foi, pas d’égoïsme, pour une fois. Tu vas t’occuper d’elle. Faire de ton mieux pour être présent.
D’abord la serrer dans tes bras. En silence. Ne rien dire pendant un temps. Ne surtout pas parler trop tôt. Parler à cet instant signifie dire une connerie. La laisser pleurer, montrer que tu es là. Poser la main dans ses cheveux, doucement. Ne pas bander.
Réponds « oui » quand elle te demande de rester. Assure que tu t’occupes de tout. Parle bas. Descend jusqu’à la limite du murmure. A ce moment, le monde est hostile. A ce moment, c’est vous deux contre tout le reste. L’installer dans le canapé et aller préparer des thés. Elle aime ça, les thés. Dans la cuisine, verser des somnifères dans sa tasse, et prendre une bonne dose de whisky. En douce. La regarder siroter son earl grey en silence. La grande discussion, ce sera pour demain. Ce soir, il faut qu’elle dorme. Passer une nuit blanche ne lui ferait vraiment pas de bien.
Quand elle a fermé les yeux, essayer de la porter jusqu’à la chambre. Chercher la bouteille de whisky, et passer la nuit sur le fauteuil à côté du lit. Tu as surveillé les comas éthyliques de Simon dans ce fauteuil. Peut-être est-ce ton rôle, finalement. Surveiller les gens au bord de la destruction. Eviter les petites apocalypses.
A la boulangerie, vers onze heure, me saute aux yeux le fait que je ne connais pas du tout Alexandra. C’est toujours par les détails que l’ensemble se révèle. Essayer de choisir entre un croissant aux amandes, au chocolat ou nature, et se rendre compte qu’on a veillé une inconnue, et qu’on a les probabilités contre nous. Une chance sur beaucoup de se planter dans le choix du croissant. Alors j’achète toute la boulangerie. Et du café avec et sans sucre, avec et sans crème, avec et sans lait, capuccino, thés, chocolat et chocolat viennois. Il y a des matins comme ça où on ne prend aucun risque. Où on n’est pas prêt à affronter un échec.
Alexandra s’est réveillée avec le besoin pressant de parler de Simon. Alexandra parle des problèmes. Elle résorbe par la discussion. Elle s’est installée dans le canapé, encore un peu assommée. Dans sa tasse, le cappuccino, dans la mienne les dernières larmes du whisky. J’ai réussi une présentation sommaire des viennoiseries qu’elle regarde avec dégoût. Je pue l’Ecosse à trois kilomètres. J’ai envie de m’enfuir. J’aimerais être chez moi, et commencer à me détruire un peu plus intensément. Compter sur moi, c’est insensé. Elle le sait bien pourtant. Mon historique parle pour moi. Egoïste et lâche. Inconstant et inconséquent. Le dernier mec à appeler en cas d’urgence.
Allez, il faut tenir. Les renforts vont arriver. Sa mère arrive à quelle heure déjà ? Treize heure. D’une minute à l’autre, donc. Attendre qu’elle soit là. Rester un peu, puis s’esquiver. Un jour, faudra m’expliquer comment les mères font. Elles sont plus efficaces que les premiers secours.